Maxime Bui
—Aug 01, 2023
Les humains n’aiment pas la simplicité : elle les irrite. Probablement, parce qu’ils sont incapables de l’atteindre. Alors, ils inventent la complication et ils se compliquent la vie qu’ils encombrent de tous les inutiles, de tous les futiles. Cette propension à la complication est l’apanage de la modernité. Contre elle monte une nouvelle propension inédite : l’absolue simplicité dans l’intégrale complexité. Assumer - et magnifier - intégralement la complexité du réel dans la simplicité de l’acte. La vie : si complexe et si simple à la fois.
Pourquoi donc les humains sont-ils ainsi si souvent allergiques à la simplicité ? Parce que la simplicité sied au projet et à l’œuvre, mais dérange l’ego et le sujet. La simplicité diminue l’ego alors que la complication l’enfle. Choisir la simplicité, c’est renoncer à l’enflure du « moi ». Complexité et simplicité sont les deux faces du même réel : l’un ne va pas sans l’autre, comme le yin et le yang du taï-chi. La simplicité est dans la complexité et la complexité est dans la simplicité.
Le compliqué naît de l’assemblage mécanique d’éléments externes, alors que la complexité/simplicité naît de l’émergence organique de processus internes. Passer de l’assemblage à l’émergence, c’est donc :
La complexité/simplicité, c’est comme l’art de rouler à vélo. Lorsqu’on sait, c’est facile. Mais c’est extrêmement compliqué - voire impossible - à exprimer. On n’apprend pas à rouler à vélo dans les livres, mais bien dans le vécu, dans l’expérientiel. On peut décrire ou expliquer le roulage à vélo, sans savoir soi-même rouler, et ce sera très compliqué. Mais rouler vraiment à vélo, comprendre réellement le roulage à vélo, passent nécessairement par la complexité/simplicité de l’apprentissage direct, par soi-même, au-delà des échecs, des chutes et de éraflures.
Si l’on veut dépasser le fait d’exister et apprendre à vivre réellement, il faut abandonner les complications de l’apparence et faire patiemment l’apprentissage, par soi-même, de la complexité/simplicité de la vie. Simplicité :
La complication est uniquement quantitative : beaucoup d’éléments, beaucoup de paramètres, beaucoup de règles, beaucoup d’opérations … Simplicité et complexité se rejoignent dans leur forte composante qualitative : ce qui est superflu est faux !
Complexité va avec simplicité comme complication va avec mécanicité : le réel n’est pas, n’est jamais mécanique : additif par assemblage, déterministe, mathématisable ou comptabilisable, analytique et analysable, réductible à ses éléments constitutifs, sans propriétés émergentes … C’est parce qu’elle n’est jamais mécanique que la simplicité est toujours complexe.
Le secret du couple complexité/simplicité est dans la notion de propriété émergente (le tout est plus que la somme de ses parties). De situations initiales simples et des processus simples, surgissent, par effets de saut, par paliers successifs, des propriétés émergentes de plus en plus complexes, c’est-à-dire intégratives, organiques, processuelles, telles des poupées russes.
Propriétés émergentes : propriétés globales et dynamiques, non réductibles aux acteurs qui y interviennent, non conditionnées par aucun critère de reproductibilité ; elles émergent parce que leur émergence est la voie la plus simple, hic et nunc.
Cette émergence n’est pas le fruit d’une optimisation de l’état du système mais bien de l’optimisation du processus actif dont le système est l’expression. Faire émerger ou faire le mieux avec le moins … Le bel exemple de l’art protohistorique : enlever le moins de matière possible à une pierre convenablement choisie pour y inscrire la forme minimale que l’on souhaite représenter. C’est la forme intrinsèque de la pierre et la simplicité du processus de sculpture qui dictent la complexité/simplicité de la représentation.